La lecture de Nicole.S: "La patience des traces" de jeanne Benameur ....ou réparer les vivants.....

Simon Lhumain (quel joli nom, ô combien significatif !) est psychanalyste.

"Peu à peu, il a appris à écouter chacun de ses patients comme on écoute un chant. Un long poème balbutiant. Lui seul pour en saisir le rythme. Avec pour unique outil le silence. Peu à peu il a appris à entendre quand quelque chose cherchait à venir, d'une séance à l'autre. Il a aidé au miracle laborieux du lien qui s'élabore."

Il suffit d'un bol auquel il tenait particulièrement, qu'il lâche malencontreusement par terre un matin en buvant son café, pour que tout bascule dans sa vie. D'avant, il n'avait gardé que deux objets, une aquarelle accrochée au mur, et ce bol bleu. Quelque chose se brise en lui. Il réalise que s'il a passé sa vie professionnelle à être à l'écoute des autres, il n'a pas gardé pour autant assez de place pour s'écouter lui-même. 

Il décide de tout quitter pour partir pour un temps incertain, vers un lieu inconnu de lui, et isolé du monde, une île au large du Japon faisant partie de l'archipel de Yaeyama. 

La mer qu'il aime par dessus tout ne sera pas loin et il pourra aller nager. Là, il espère aller mieux et guérir des maux qui l'anéantissent jour après jour davantage, faire le deuil de ses pertes (son ami d'enfance Mathieu et son premier amour Louise), oublier ses patients qui deviennent lourds à porter.

Il délaisse donc ses amis et connaissances du moment, dont Hervé avec qui il joue habituellement de nombreuses et passionnantes parties d'échecs. C'est d'ailleurs lui qui l'a aidé à organiser ce voyage. Il laisse aussi derrière lui sa jeune collègue, Mathilde, rencontrée depuis peu. 

Sur cette île, un couple discret et attentionné l'attend mais avec eux aussi, la sérénité, les rituels, la passion du travail bien fait...et la nature florissante et généreuse. 

J'ai beaucoup aimé les personnages d'Akiko et Daisuke, leur sagesse, leur extrême bienveillance, leur rapport à la matière, elle qui collectionne les tissus japonais anciens, lui qui répare la céramique brisée par la technique ancestrale du kintsugi qui, avec une laque d'or, magnifie la brisure au lieu de la cacher, tout un symbole... Ce roman est d'ailleurs rempli de symboles, la matière, les objets, les sensations, les silences "Le silence permet de marcher dans sa tête sans crainte" y tiennent beaucoup de place. 

" Il [Daisuke] portait en lui suffisamment d'amour pour consoler cette femme [Akiko]. Aucun enfant ne grandirait auprès d'eux mais son amour à lui pouvait grandir. Il décida d'élever son amour comme on élève un fils ou une fille, avec infinie tendresse et exigence. Et son amour avait bien grandi..."

J'ai aimé la façon dont Daisuke et Simon se comprennent sans parler la même langue, ils s'apprivoisent peu à peu et une amitié nait alors qu'ils ne se comprennent qu'aux rythmes de leurs voix, à leurs silences.

La relation entre Akiko et son époux est belle, c’est un amour fort, pur, que l’absence d’enfants a renforcé, alors que cela aurait pu les éloigner, leur sagesse est inspirante pour Simon comme pour le lecteur. 

On ressent la paix infinie que Simon éprouve à être là auprès de ses hôtes si bienveillants mais aussi la vulnérabilité qu'il ressent à ne plus être à l'abri dans son cabinet d'analyste. 

Jour après jour, Simon s'interroge sur son métier, l'aide qu'il a ou pas apporté à ses patients qui venaient dans son cabinet chercher des réponses à leurs problèmes. Il n'est à présent plus sûr de rien.  

Sont-ils repartis le cœur plus confiant, l'esprit plus libre ? A-t-il pu leur être d'une aide suffisante ? A-t-il été suffisamment bon à ce qu'il faisait ? 

Il est en particulier obsédé par une femme Lucie F., qui un jour est partie sans jamais revenir suite à une malheureuse phrase qu'il avait prononcé ce jour-là. Il croit l'avoir vu à l'aéroport, mais c'est peut-être l'œuvre de son imagination (le lecteur seul sait qu'il s'agit bien d'elle, il est mis par l'auteur dans la confidence...il n'y a pas de véritable hasard dans la vie).

Comme la raie manta qu'il croise en nageant se nettoie et se débarrasse de ce qui l'encombre en se frottant aux coraux, Simon va peu à peu jeter un regard différent sur son passé...en prenant son temps. 

Un livre de silences et de rencontres très poétique, un livre pour raconter un voyage intérieur. Un texte un peu contemplatif au rythme doux et lent, avec très peu de dialogues fondus dans le texte. Une ode à la culture ancestrale et à l'art de vivre des japonais. Une réflexion brillante et une écriture lumineuse. 

L'avis du délirien: ⭐⭐⭐⭐⭐ énorme coup de coeur!!!

Jeanne Benameur nous propose un voyage initiatique, une découverte de qui l’on est vraiment, ce qui forge, structure la personnalité, une réflexion profonde sur ce qui est important, à l’heure actuelle où tout part à vau-l’eau, après les années Covid confinement, puis la guerre…

J’ai aimé découvrir la plume, pleine de poésie et de douceur de Jeanne Benameur, auteure que je ne connaissais pas encore ! Ce livre a été un vrai doudou, bibliothérapie à l’efficacité garantie. 

 Elle m’a permis aussi de retrouver le Japon, qui me fascine toujours autant, et que j’espère visiter un jour. Inutile de le nier, j’aurais bien aimé que Simon m’emmène dans ses valises !

A propos de l'auteure: 

Née en 1952 en Algérie d’un père tunisien et d’une mère italienne, Jeanne Benameur arrive en France, avec sa famille, à l’âge de cinq ans. Entre le roman et la poésie, le travail de Jeanne Benameur se déploie et s'inscrit dans un rapport au monde et à l'être humain épris de liberté et de justesse.

Parmi ses romans publiés chez Actes Sud : Profanes (2013, grand prix du roman RTL/Lire), Otages intimes (2015, prix Version Femina 2015, prix Libraires en Seine 2016), L’Enfant qui (2017), et plus récemment, Ceux qui partent (2019, prix des Lecteurs de Corse 2020).


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