La lecture de Nicole.S: " La pyramide" de Ismail Kadaré....Monumental....à quel prix....


En Egypte, au temps des pyramides, le jeune pharaon Chéops sème la panique parmi ses conseillers en annonçant qu’il renoncera peut-être à se faire construire une pyramide. 

Hors la pyramide, bien plus qu’un tombeau de souverain, est le moyen trouvé par les pharaons ancestraux pour canaliser l’énergie et la richesse du peuple. L’appauvrir, accaparer ses forces physiques et morales, c’est un moyen de le garder sous contrôle, alors que les périodes de bien-être, au contraire, incitent à la critique du pouvoir des pharaons. 

Si l’empire accado-sumérien a survécu un temps grâce à ses gigantesques travaux de canalisation, disent les conseillers de Chéops, les pharaons se doivent eux aussi de faire perdurer la tradition des pyramides afin d’assurer leur survie.

Chéops se range à ces arguments et les travaux sont engagés. 

Le récit suit la construction de la pyramide, du tracé des plans aux méfaits des pilleurs des générations suivantes, et les différents chapitres voient défiler les perspectives sur la construction de la pyramide. Les conjurations se suivent, les ambassadeurs étrangers font leurs rapports, l’humeur de la population passe de l’enthousiasme aux rumeurs, de l’admiration à l’abattement – « un vent maléfique soufflait sur tout le pays. Tout allait de travers, le bien ne se distinguait plus du mal. » 

Les pierres sont cependant hissées petit à petit, chacune, ou presque, avec son histoire, répertoriée avec la précision d’un dossier de bureaucrate. 

En exemple, la cent quatre-vingt-quinzième pierre, dont il est noté : « De la carrière d’El Berseh. Retard dans la remontée en raison du suicide du maître maçon Hapidjefa. S’est servi de la pierre pour mettre fin à ses jours, en trompant ceux qui la transportaient (…). Conformément aux instructions du magicien, sur le côté ouest, la face du bloc de pierre qui a causé la mort a été tournée vers l’extérieur. De sorte que le soleil, par ses rayons, en extirpe les pouvoirs maléfiques. » 

Le temps finit par être mesuré à l’aune de la montée des gradins numérotés, de même que les bâtisseurs se définissent en fonction de la rangée sur laquelle ils ont travaillé. Les pensées de Chéops, elles, se font de plus en plus noires à mesure qu’il finit par mesurer sa propre vie aux tourbillons de poussière qui volent au dessus du chantier, et l’annonce de l’achèvement de la pyramide le fait sombrer dans la folie.

L'avis du délirien: ⭐⭐⭐

Prenant l'image de la construction d'une pyramide dans l'Egypte antique, l'auteur explique qu'un bon moyen pour asservir un peuple et lui ôter toute idée de révolte, c'est de l'occuper à un travail qui ne sert à rien, mais mobilise toutes les ressources du pays. 

C'est ce qui arriva en Albanie, où furent construits des milliers de bunkers dans tout le pays, pour se protéger d'un agresseur qui n'existait pas.

Les régimes totalitaires se ressemblent tous finalement...

A propos de l'auteur:

Ismail Kadaré est un écrivain albanais. (1936-2024)

Il étudie les lettres à l'Université de Tirana et à l'Institut Gorki de Moscou. En 1960, la rupture avec l'Union soviétique l'oblige à revenir en Albanie où il entame une carrière de journaliste. Il commence à écrire très jeune, au milieu des années 1950, mais ne publie que quelques poèmes dans un premier temps.

En 1963, la parution de son premier roman "Le Général de l'armée morte" lui apporte la renommée, d'abord en Albanie et ensuite à l'étranger. Paraissent ensuite "Chronique de la ville de pierre" et "Les Tambours de la pluie" en 1970.

En 1972, nommé député albanais sans même l'avoir demandé, il est contraint d'adhérer au Parti communiste albanais (parti gouvernemental). Il n'en continue pas moins sa lutte constante contre le totalitarisme. Écarté de la nomenclature communiste, il poursuit un temps sa carrière d'écrivain sans heurts, nonobstant la charge corrosive de ses textes contre la dictature.

Il publie d'autres romans importants comme "Avril brisé" (1980). Entré en disgrâce pour ses écrits subversifs, il est finalement contraint d'éditer ses romans à l'étranger où ils sont très bien accueillis. Se sentant menacé, il émigre en France où il obtient l'asile politique en octobre 1990.

En 1992, il publie "La Pyramide". Depuis 1996, il est membre associé (à vie) de l'Académie des sciences morales et politiques, où il a remplacé le célèbre philosophe Karl Popper.

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