La lecture de Nicole.S: "La petite fille" de Bernhard SCHLINK.....Un abandon, deux Allemagnes, trois amours à la dérive.

Kaspar et Birgit se sont rencontrés au milieu des années 1960. C’était peu de temps après la construction du mur de Berlin.

Kaspar passait de Berlin Ouest, où il habitait, à Berlin Est pour découvrir cette partie de la ville et de l’Allemagne. Birgit habitait à Berlin Est. Ils étaient jeunes, ils sont tombés amoureux, Kaspar a tout fait pour que Birgit puisse passer à l’Ouest et, une fois ensemble, ils se sont aimés. Cela a duré un demi-siècle. Cela n’a pas été un chemin de roses. 

Mais ils se sont aimés, et sont restés ensemble, jusqu’au dernier moment, jusqu’au moment où elle se noie. Le moment où commence le roman. Après une dernière soirée où Birgit s’est saoulée et que Kaspar l’ait nettoyée, et regardée dormir. Une dernière fois. Birgit est morte. Et Kaspar est resté seul avec sa douleur. 

Avec les souvenirs qu’il avait de Birgit, et avec ceux qu’elle avait laissés : quelque temps après la disparition, Kaspar découvre une autre Birgit. Un texte, un projet de roman, qu’elle a laissé, lui permet de découvrir une autre personne et, en particulier, que Birgit avait eu une fille avant de partir avec lui. Une fille ! Alors qu’ils n’ont pas eu d’enfant et que Kaspar aurait rêvé d’en avoir. Une fille, que Birgit aurait voulu retrouver… mais n’a pas eu le temps où l’envie de chercher. 

C’est Kaspar qui ira à la recherche de Svenja. Une enquête qui lui permet (un peu miraculeusement quand même) de retrouver Svenja, mariée à Bjorn et mère de Sigrun, une adolescente d’une quinzaine d’années. Ah! Sigrun, la presque petite-fille (celle du titre) de Kaspar. Il fait tout pour la voir, allant jusqu’à inventer un héritage bidon. Il achète à ses parents le droit de voir Sigrun quelques jours par an.

Et là, Kaspar se prend un mur, en pleine gueule, et nous avec. Nous sommes déjà bien avancés dans le roman, mais pourtant, c’est là que tout commence. 

Certes, la partie de l’enquête est intéressante. 

Kaspar touche du doigt les blessures des Allemands de l’Est après la chute du mur et la réunification, et on conçoit l’ampleur du problème quand on réalise que cela fait trente ans que le mur n’est plus là ! Cela donnait déjà à réfléchir. 

Mais rien de comparable avec ce qui se passe avec lors de la rencontre avec ces Allemands völklisch, qui vivent dans la nostalgie du 3ème Reich, détestent les étrangers, pensent que Hitler a voulu défendre l’Allemagne, que les juifs dominent le monde, que l’holocauste a été inventé après la fin de la deuxième guerre mondiale et qui utilisent des emporte-pièces pour découper de la pâte à gâteau en forme de croix gammée ! 

Ce qui est le plus glaçant, c’est que ce soit Sigrun, une enfant, sa petite-fille, elle-même soit intimement convaincue de tout ça ! 

Les vacances que Sigrun vient passer à Berlin donnent lieu à des scènes angoissantes, franchement glaçantes, glauques, terrifiantes. Sigrun, dont le modèle est Irma Grese (la hyène d’Auschwitz), qui pense que les compositeurs allemands sont meilleurs que les autres, qui pense que Le Journal d’Anne Frank est un faux, qui lors d’une visite à Ravensbrück trouve que les victimes avaient toutes des visages de voleuses et qui envie le piercing en forme de croix gammée (décidément) que sa meilleure amie porte à l’oreille… 

Mais Kaspar ne peut pas supporter cela, il se bat, résiste, essaye de montrer à Sigrun qu’elle a tort, que la musique n’a pas de frontières, n’est liée à aucune race. Kaspar essaie de la sauver de ce monde dans lequel ses parents l’ont plongée, de son monde. Peut-il réussir ?

Extrait du journal de Birgit : "La nuit, lorsque la peur me réveille en sursaut, que je ne peux pas dormir et qu'il me demande ce qu'il y a, je le rassure d'un geste. Il est content quand il me voit jouer avec des enfants, mais il ne comprend pas ce qui se passe en moi. Il ne peut pas comprendre non plus pourquoi je tiens secret ce que j'écris ; cela le blesse, et le blesser me blesse aussi, mais je ne peux lui dire sur quoi j'écris : sur moi, sur ma fille et mon désir de la retrouver." 

L’important est ailleurs. Dans les idées que dénonce Bernhard Schlink, ce fanatisme délirant qui semble toujours ancré dans la population allemande, vieux ou jeunes (en tout cas, c’est ce qu’il dénonce). Dans sa description des relations entre Kaspar et Sigrun, et surtout dans son analyse de la psychologie de Kaspar : comment un homme de 71 ans peut-il faire face à la violence de la jeunesse, d’une jeunesse qui n’est pas en phase avec lui ? En raisonnant ? En expliquant ? En l’aidant à se cultiver ? Cette culture classique, qui est la seule forme de culture que Kaspar défend, et qu’il veut faire découvrir à Sigrun peut-elle quelque chose contre l’extrémisme, contre le mensonge ? La beauté (une certaine forme de beauté en tout cas), le raisonnement contre la brutalité et le simplisme. 

Bernhard Schlink pose des questions fondamentales ; les réponses qu’il suggère ne sont pas réjouissantes.

L'avis du délirien: ⭐⭐⭐⭐

"La petite-fille" raconte l'attachement de Kaspar à Sigrun, l'histoire d'une résilience possible entre des passés fracassés, des amours enfouis mais plus forts que l'oubli. Car il pèse sur ce roman l'angoisse de perdre l'essentiel : ce qui donne un sens à la vie. Une vie abandonnée au péril d’une déchéance dans le remord, l'espoir de réparer ce qui a été meurtri, l'espoir de transmettre - un idéal démocratique contre un idéal nationaliste xénophobe.

Ce roman est enfin la rencontre entre un homme mûr et une jeune fille, un "grand-père" et une "petite-fille", à la recherche d'un attachement, au péril d'un déchirement, dont il faudra attendre les dernières pages afin de savoir s'il se produira - et si oui, comment il se produira.

Quelques points faibles: Ayant pour théâtre l'Allemagne avant et après l'unité, ayant pour auteur un écrivain allemand, ce roman comporte de nombreuses références littéraires, musicales et géographiques formulées en allemand. Les germanophiles seront dans ces passages, plus à l'aise que les autres. 

J'ai aimé ce livre !!!!

A propos de l'auteur: 

Bernhard Schlink est un écrivain allemand, né en 1944.

Il étudie le droit à l'Université de Heidelberg, puis à l'Université libre de Berlin, et exerce comme professeur à Bonn et à Francfort. Depuis 1992, il est professeur de droit public et de philosophie du droit à l'Université Humboldt de Berlin.

De 1987 à 2006, il est également devenu juge au tribunal constitutionnel du Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie.

Il a débuté sa carrière comme écrivain par plusieurs romans policiers, dont le premier, "Brouillard sur Mannheim", est écrit en collaboration avec son ami Walter Popp. On retrouve dans les romans policiers suivants son personnage principal, Gerhard Selb

En 1995, il publie "Le liseur" un roman partiellement autobiographique. Ce livre devient rapidement un best-seller et est traduit dans 37 langues. Il a été le premier livre allemand à arriver en première position sur la liste de best-sellers publiée par le New-York Times. 

"Le Liseur" a été adapté au cinéma sous le titre "The Reader" en 2008. Pour son rôle dans le film, Kate Winslet a remporté L'Oscar de la meilleure actrice à la cérémonie des Oscars 2008.


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Commentaires

  1. On parle beaucoup de ce roman en ce moment. Je veux le lire et j'espère que tes bémols ne vont pas me gêner...

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merci d'avoir laissé ce commentaire très pertinent !