La lecture de Nicole.S: "L'homme qui peignait les âmes" de Meitin ARDITI...Un livre iconique....

L’histoire d’Avner commence à Acre en l’an 1079. Le gamin juif, quatorze ans, livre du poisson au monastère de la Sainte-Trinité et chaque fois, Thomas, qui aime sa compagnie et connaît sa gourmandise, lui prépare alors un en-cas. Cette fois, il l’agrémente de quatre petites figues cueillies sur le figuier sauvage près de l’église : Avner aime s’installer sous cet arbre, il a baptisé cet endroit Le Petit Paradis.

Son père lui a bien ordonné de rester à distance de l’église, mais le garçon aime se laisser bercer par les chants liturgiques, respirer la brise et les senteurs, observer les papillons… Quand il dessine un jour une esquisse du « Roi des Rois », un grand papillon doré, il est puni par son père qui lui rappelle l’interdit de la représentation, qu’Avner ne comprend pas : célébrer la beauté, n’est-ce pas honorer le Créateur ?

De même, quand ses parents l’envoient dormir dans la même chambre que sa cousine Myriam qu’ils ont recueillie, il ne peut résister à son invitation de s’étendre sur elle. Myriam, qui garde les moutons, est devenue sa complice en sensualité. Il lui a montré le figuier sauvage, il lui raconte tout, notamment sa rencontre avec le frère Anastase qui portait une icône. Le fond d’or a ébloui Avner, à tel point qu’un jour, le moine le fait entrer dans l’église pour admirer l’iconostase « qui sépare le monde des vivants de celui de l’Esprit ».

Fasciné, Avner se met à fréquenter l’atelier d’Anastase, avec un grand désir de peindre lui aussi de telles images. « Pas peindre, corrigea Anastase, écrire. J’en commence une. Regarde. » Si le garçon veut devenir iconographe, cela implique un chemin très long, l’apprentissage, l’étude des Textes et une conversion sincère au christianisme. C’est chez Anastase qu’Avner fait la connaissance de Mansour, un marchand ambulant qui voyage avec une chamelle, un mulet et une ânesse et lui fournit des pierres rares pour les couleurs, de la feuille d’or.

Jour après jour, le garçon apprend les techniques, le traitement du bois, la préparation des pigments, la cuisson de la colle. Un an plus tard, il reçoit le baptême et prend le même prénom qu’Anastase, qui signifie Résurrection. Les textes et l’enseignement reçu l’ont ébloui, il a décidé de passer outre le fait qu’il ne croit pas à la Révélation – sans l’avouer. Quand son père décide de marier Myriam, Avner lui montre la belle icône où il l’a représentée avec un agneau dans les bras : elle est choquée de voir la petite croix peinte sur son front et le trahit. Son père le chasse de la maison.

 " Pendant qu’il apposait les couches de couleur, le souvenir de ses caresses sur le visage de Myriam lui revenait. il la voyait émerger sous ses yeux, de plus en plus lumineuse, couche après couche, comme si à chaque couche qu’il ajoutait, il ôtait un voile et la révélait dans toute sa rayonnante beauté."

Avner a beau se sentir coupable de s’être détaché des siens, de son peuple, il ne peut faire autrement que poursuivre dans la voie qu’il a choisie. Anastase le confie alors à Mansour pour qu’il aille à Mar Saba, là où les moines rivalisent pour créer les plus belles icônes. En voyage, il apprend beaucoup du marchand musulman qui lui raconte ses aventures, sa vie. Il prie avec lui comme un fils.

« Plutôt que de représenter la part d’humain dans le Christ et ses Saints, Avner inversait la démarche, faisait surgir la part de divin enfouie en chacun ».

Dix ans plus tard, au monastère de Mar Saba, les icônes d’Avner suscitent l’admiration de tous et aussi des jalousies. Les figures du jeune iconographe sont incroyablement vivantes et quand on l’accuse de s’écarter des canons traditionnels, il l’admet volontiers, au risque d’être expulsé : « La seule chose que je souhaite, c’est d’écrire la joie de vivre ».

L'avis du délirien: ⭐⭐⭐⭐⭐

D’une sensualité saisissante, mettant tous les sens du lecteur en éveil, « L’homme qui peignait les âmes » est aussi empreint de spiritualité. L'auteur nous montre que les trois religions peuvent aisément cohabiter.

Une lecture riche de sens et d’émotion, une écriture engagée qui vous emporte : Metin Arditi est un humaniste, un conteur hors pair, un homme érudit et passionnant ! Son roman est à découvrir de toute urgence !

A propos de l'auteur:

Metin Arditi est né en 1945 à Ankara. Il quitte la Turquie à l’âge de sept ans, et obtient la nationalité suisse en 1968. Il obtient un diplôme de physique et un diplôme de troisième cycle de génie atomique à l’École polytechnique fédérale de Lausanne, puis poursuit ses études à l’université Stanford. Il habite Genève.

De 2000 à 2013, il a été Président de l'Orchestre de la Suisse romande. Il est membre du Conseil stratégique de l’École polytechnique de Lausanne où il a enseigné la physique, l'économie et la gestion et l'écriture romanesque.

En 2012, il a été nommé par l'UNESCO Ambassadeur de bonne volonté.

Suisse francophone d’origine turque séfarade, Metin Arditi est un écrivain de l’intime, dont tous les livres traitent des mêmes thèmes : la difficulté de la filiation, la solitude et l’exil. De 1997 à 2020 il a publié quatorze romans, deux récits et six essais. « L’homme qui peignait les âmes » est son quinzième roman. Voilà une vie bien remplie, me semble-t-il !


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