La lecture de Nicole.S: "Le ghetto intérieur" de Santiago H Amigorena....Sans voix....


Le livre s'ouvre le 13 septembre 1940, pluvieux à Buenos-Aires. Vicente Rosenberg, trente-huit ans, se dirige vers le café Tortoni, "un café à la mode où l'on pouvait, en ce temps-là, croiser aussi bien Jorge Luis Borges et des gloires du tango que des réfugiés européens comme Ortega y Gasset, Roger Gallois ou Arthur Rubinstein". Le jeune homme y retrouve ses amis de toujours, Sammy et Ariel, juifs polonais, comme lui. Dix ans plus tôt, Vicente a quitté la Pologne, embarquant sur un paquebot à Bordeaux, avec son ami Ariel. 

"Les Juifs me font chier. Ils m'ont toujours fait chier. C'est lorsque j'ai compris que ma mère allait devenir chiante comme la sienne que j'ai décidé de partir".  

Voilà comment il explique son départ. Quand il y pense, à ce moment-là, Vicente ne se sent ni juif, ni polonais, ni argentin. "Qu'est-ce qui nous fait sentir une chose plutôt qu'une autre ? Qu'est-ce qui fait que nous disons parfois que nous sommes juifs, argentin, polonais, français, anglais, avocat, chanteurs de tango ou joueurs de football ?".

Vicente avait quitté la Pologne pour l'Argentine, fuyant et cherchant quelque chose, ou simplement parti "comme on partait à l'époque, en pensant qu'il ferait fortune et qu'il reviendrait, qu'il reviendrait et qu'il reverrait sa mère, sa sœur, son frère. Peut-être en partant n'avait-il jamais songé qu'il ne les reverrait jamais."

Vicente a oublié le yiddish, appris l'espagnol et épousé Rosita, née en Argentine de juifs polonais arrivés en 1905. Le couple a deux enfants, ils en auront bientôt trois. Vicente travaille dans un magasin de meubles ouvert pour lui par son beau-père. Après avoir quitté ses amis ce soir-là, quand il rentre dans l'appartement modeste où il a emménagé quelques semaines plus tôt avec sa famille, il sent pour la première fois qu'il a "un foyer", qu'il a ce que sa mère appelle dans ses lettres un "chez-soi". Les années ont filé, et Vicente n'a plus vraiment répondu aux lettres de sa mère, restée à Varsovie. "Je t'en supplie Wincenty, écris quelques mots. Quel désespoir pour une mère de n'avoir pas de nouvelles de son enfant !"

Depuis quelques temps, le sentiment d'avoir abandonné sa mère et son frère en Pologne commence à projeter une ombre sur sa vie en Argentine, une ombre qui s'agrandit au fur et à mesure que les nouvelles de l'Europe lui parviennent, d'abord avec les lettres de sa mère, qui deviennent inquiétantes, puis avec ce qu'il lit dans les journaux, très clair, à partir de 1942. L'ombre devient gigantesque et se met à l'étouffer quand les lettres de sa mère cessent d'arriver. 

Vicente, quand il comprend qu'il est trop tard pour faire venir sa mère en Argentine, et qu'il ne pourra pas la sauver, que des millions de juifs, comme elle, ne pourront pas être sauvés, ne trouve pas d'autre solution que de se murer dans le silence. Un silence dans lequel il espère pouvoir diluer le réel et la culpabilité qui le rongent. 

Alors le silence s'installe dans la vie de Vicente, et dans celle de ses proches, pendant que loin, très loin, en Europe, pour des millions de Juifs, le pire s'accomplit.

"Plus de mots. Plus de langues. Ni allemand ni polonais, ni yiddish. Ni espagnol ni argentin. Plus de mots. Plus de noms. Plus de nom pour rien. Ni pour la musique, ni pour le piano, ni pour la chaise, ni pour la table. Ni vitrine ni magasin, ni rue ni voiture, ni cheval, ni ville, ni pays, ni océan. Ni massacre ni douleur. Plus. De. Mots."  

La mère de Vicente a été enfermée dans le Ghetto de Varsovie, puis déportée dans le camp de Treblinka II. Elle n'est jamais revenue. Gustawa, c'est son prénom, était l'arrière-grand-mère de l'auteur.

L'avis du délirien: ⭐⭐⭐

Ce livre est touchant, poignant. La culpabilité a rongé Vicente. Je n'ai pas compris tout de suite que c'était l'histoire familiale de l'auteur!

Néanmoins, c'est un livre de plus sur l'holocauste, et j'avoue avoir été un peu saoulée...

A propos de l'auteur:

Il est né à Buenos Aires en 1962

Santiago H. Amigorena est un réalisateur, scénariste, producteur et écrivain argentin vivant en France.

Il se lance très tôt dans l’écriture. Il a écrit une trentaine de scénarios pour le cinéma dont notamment Le Péril jeune de Cédric Klapisch et Les gens normaux n’ont rien d’exceptionnel de Laurence Ferreira Barbosa.

Il écrit aussi des articles pour La Lettre du cinéma et Les Cahiers du cinéma.

C'est en 1997 que Santiago H. Amigorena rencontre Paul Otchakovsky-Laurens qui décide de publier son premier roman Une enfance laconique aux Editions POL. Ce livre est le premier de son projet littéraire d’élaborer une autobiographie en six parties qui couvriraient chacune six années de la vie du narrateur.

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