la lecture de Geneviève.D: "Avril brisé" de Ismaël KADARE ...Au nom de la loi....


Cycle littérature des pays de l'Est

L'Albanie

L’histoire se passe au début du XXème siècle, sur les hauts plateaux d’Albanie. Nous sommes un 17 mars, et Gjorg, un jeune montagnard, vient de tuer le meurtrier de son frère, qui se cachait depuis de longs mois pour échapper à la vengeance.

Maintenant Gjorg dispose d’un mois pour aller payer l’impôt du sang au château d’Orosh, et régler ses affaires en cours avant de se cacher à son tour en attendant son châtiment.

Car ici règne la loi du Kanun, selon laquelle chaque vie humaine se rachète par une autre. Pendant que Gjorg se dirige à pied vers le château d’Orosh, Diane et Bessian entament leur voyage de noces, en voiture à cheval, sur ce même haut plateau. Lune de miel très insolite, vu l’atmosphère plutôt sinistre des lieux, mais Bessian, écrivain renommé, a beaucoup rédigé sur le Kanun et ressent le besoin d’approcher ces gens dont tous les aspects de la vie sont régis par un code coutumier vieux de cinq siècles.

« Vos livres, votre art, sentent tous le crime. Au lieu de faire quelque chose pour les malheureux montagnards, vous assistez à la mort, vous cherchez des motifs exaltants, vous recherchez ici de la beauté pour alimenter votre art. Vous ne voyez pas que c'est une beauté qui tue. »

Alors que Gjorg se trouve sur le chemin du retour après s’être acquitté de sa dette de sang, et que le jeune couple s’approche du château d’Orosh dont le prince est un parent éloigné de Bessian, la rencontre improbable entre le montagnard et les citadins se produit, très brève mais suffisante pour laisser une impression durable de part et d’autre.

Dès lors, Diane, auparavant si enthousiaste et admirative de son époux, sombre dans la rêverie, le silence, l’indifférence.

Bessian, complètement désemparé, la sent s’éloigner de lui inexorablement.

Gjorg annonce à ses parents qu’il va passer les dernières semaines de liberté qui lui restent à voyager, à parcourir à pied ce haut plateau, sans s’avouer qu’il espère retrouver la jeune femme au regard envoûtant !

Ces deux-là vont-ils se rencontrer à nouveau, alors que la date du 17 avril approche à grands pas ? Mystère et boule de gomme, je n’en dirai pas plus !

L’avis du délirien: ⭐⭐⭐⭐⭐

J’ai beaucoup aimé ce roman, pourtant noir, triste et à l’atmosphère si pesante, mais si bien écrit et tellement captivant. Heureusement, me suis-je dit, que cette maudite loi du Kanun n’existe que dans l’imagination de l’auteur !

Que nenni ! Un petit tour sur Internet me révéla que le Kanun, ce code de droit coutumier né au Moyen-Âge, régit toujours l’existence des habitants de certains territoires d’Albanie, mais aussi du Kosovo, du Monténégro et de la Macédoine. 

Il arrive parfois que des demandeurs Albanais ou Kosovars se disent victimes de la loi du Kanun pour obtenir l’asile en France.

En 2011, la presse se faisait l’écho d’une histoire qui se déroulait au sud de Pristina, la capitale du Kosovo. Dans trois habitations protégées par un mur, 45 personnes se cachaient terrifiées. Le chef de clan, Haki Naziri, expliquait que les hommes de la famille ne pouvaient pas sortir depuis 17 mois. Les femmes ne sortaient que pour faire les courses. Sinon, la famille entière restait cloîtrée entre quatre murs derrière les fenêtres closes. Les hommes ne pouvaient travailler dans les champs. Les enfants mâles de plus de sept ans ne pouvaient aller à l’école.

Tous les hommes étaient menacés par les membres d’une autre famille, les Veseli. Si les Veseli en voulaient autant aux Neziri, c’est qu’en février 2010, l’un des leurs avait été assassiné par quatre des frères Neziri. Ces hommes étaient jugés par la justice, mais la famille endeuillée n’en avait que faire. Pour elle, le conflit devait se résoudre par la vengeance et dans le sang. Un Neziri devait donc mourir. Au Kosovo et en Albanie, on appelle cela la reprise de sang. 

Brrr, ça donne froid dans le dos …

A propos de l’auteur : 

Ismail Kadaré est un écrivain albanais né en 1936 en Albanie.

Il étudie les lettres à l'Université de Tirana et à l'Institut Gorki de Moscou. En 1960, la rupture avec l'Union soviétique l'oblige à revenir en Albanie où il entame une carrière de journaliste. Il commence à écrire très jeune, au milieu des années 1950, mais ne publie que quelques poèmes dans un premier temps.

En 1963, la parution de son premier roman "Le Général de l'armée morte" lui apporte la renommée, d'abord en Albanie et ensuite à l'étranger. Paraissent ensuite "Chronique de la ville de pierre" et "Les Tambours de la pluie" en 1970.

En 1972, nommé député albanais sans même l'avoir demandé, il est contraint d'adhérer au Parti communiste albanais (parti gouvernemental). Il n'en continue pas moins sa lutte constante contre le totalitarisme. Écarté de la nomenclature communiste, il poursuit un temps sa carrière d'écrivain sans heurts, nonobstant la charge corrosive de ses textes contre la dictature.

Il publie d'autres romans importants comme "Avril brisé" (1980) et "Le Dossier H." (1989). Entré en disgrâce pour ses écrits subversifs, il est finalement contraint d'éditer ses romans à l'étranger où ils sont très bien accueillis. Se sentant menacé, il émigre en France où il obtient l'asile politique en octobre 1990.

En 1992, il publie "La Pyramide". Depuis 1996, il est membre associé (à vie) de l'Académie des sciences morales et politiques, où il a remplacé le célèbre philosophe Karl Popper.

Romancier, essayiste, dramaturge et poète, il reçoit le Prix international Man Booker en 2005, le Prix Princesse des Asturies de littérature en 2009 et le Prix Jérusalem en 2015.

Il est le mari de la romancière Helena Gushi-Kadaré. 


Partager votre avis dans la section "Commentaires" juste en dessous.

Commentaires