La lecture de Nicole.S: "Eux sur la photo" de Hélène Gestern, le poids du passé et des secrets de famille

L’écrivain a l’âge de son héroïne...Hélène l’héroïne est une jeune femme qui va vers la quarantaine et qui s’est fait voler son enfance. Sa mère, Natalia, est morte lorsqu’elle avait trois ans et elle n’a aucun souvenir d’elle, sinon une mauvaise photographie.

Son père s’est remarié plus tard et a effacé toute trace de sa première épouse. Hélène vit avec ce mystère épais et cette souffrance de ne pas savoir qui était sa mère et ce qui lui est arrivé.

Un jour, elle tombe sur une coupure de presse relatant un événement sportif à Interlaken, en Suisse , au cours de l'été 1971. L’article est illustré par une photo en noir et blanc, où figurent une jeune femme et deux jeunes hommes. En regardant plus attentivement le visage de la jeune femme, elle reconnaît sa mère avec stupéfaction.

Son père est décédé depuis quelques années et sa belle-mère se meurt de la maladie d’Alzheimer. Elle décide donc de faire des recherches à partir de cette photographie, parce qu'elle constitue sa dernière chance de faire la paix avec son passé. 

Elle publie à cet effet une petite annonce dans Libération. Quelques semaines plus tard, elle reçoit une lettre de Stéphane qui vit à Londres, qui lui dit reconnaître son père, Pierre, dans l’un des deux hommes figurant sur la photo.

"La photographie a fixé pour toujours trois silhouettes en plein soleil, deux hommes et une femme. Ils sont tout de blanc vêtus et tiennent une raquette à la main. La jeune femme se trouve au milieu : l'homme qui est à sa droite, assez grand, est penché vers elle, comme s'il était sur le point de lui dire quelque chose. Le deuxième homme, à sa gauche, se tient un peu en retrait, une jambe fléchie, et prend appui sur sa raquette, dans une posture humoristique à la Charlie Chaplin. Tous trois ont l'air d'avoir environ trente ans, mais peut-être le plus grand est-il un peu plus âgé."

Ainsi commence la quête d’Hélène. En partant à la recherche de sa mère, elle va tenter de percer le mystère de sa propre vie. Stéphane va l’accompagner dans ce difficile travail de mémoire, désireux lui aussi d’éclairer son histoire personnelle et de mieux comprendre son père.

"Je me demandais ce qui fait la vérité d'un être, ce que l'on devient quand on a grandit sans souvenirs, qui étaient ces gens qui m'avaient connue et dont je ne savais rien, s'il restait en moi quelque chose d'eux, un mot, une image, une odeur."

Mais oublier quoi ? comment oublier ce que l'on n'a jamais su ?

A travers la correspondance d’Hélène et de Stéphane, les témoignages des personnes qu’ils parviennent à contacter, le travail d’analyse des photographies et des objets que leurs recherches mettent au jour et des fragments de journaux intimes, ils vont progressivement reconstituer des évènements qui se sont produits près de quarante ans plus tôt et qui leur permettront de comprendre ce qui s’est passé entre la mère de l’une et le père de l’autre.

"Quoi que l'on vous ai dit ou caché, chacune de vos lettres semble confirmer, sans aucun doute, une chose : vos parents vous aimaient. Et là-dessus, le mensonge n'est pas possible. On ne leurre pas pendant trente-neuf ans une enfant sur la qualité de l'affection qu'on lui porte."

Parallèlement et avec beaucoup de pudeur et de retenue, ils vont aussi tisser des liens entre eux. La progression du sentiment entre Hélène et Stéphane est lente et se lit à travers l’évolution des formules de fin de correspondance, du "avec mes meilleures salutations" au "Je t’embrasse tendrement". Dans sa première lettre à Hélène, Stéphane commence par "Madame, Monsieur", ne connaissant pas le sexe de son correspondant. Et, comme il signe "S. Crüsten", Hélène est dans la même ignorance et lui répond par une formule presque identique, "Monsieur, Madame". Il est amusant de constater que Stéphane commence son adresse de lettre par "Madame", tandis qu’Hélène commence la sienne par "Monsieur", l’un et l’autre révélant ainsi, peut-être, leurs secrètes aspirations.  

Mais la jeune femme signe sa lettre "Hélène Hivert", amorçant cette lente découverte qu’ils vont faire l’un de l’autre. Ils créeront des liens sans doute plus forts encore que ceux qui avaient unis la mère d’Hélène et le père de Stéphane. Avec de meilleures promesses de bonheur.

Hélène Gestern mène son récit avec une grande maîtrise. Ce que l’on pressent ne se réalise pas toujours et le lecteur reste pris tout au long du livre, le dénouement final gardant son mystère jusqu’aux dernières pages. Lettres, courriels, notes personnelles et descriptions d’objets alternent sans cesse, donnant du rythme au roman.

J’ai aimé aussi le style de l’écrivain. Ses portraits sont précis et éloquents :

"La jeune femme ne s’est pas départie d’un soupçon de gravité, que ne démentent pas tout à fait son sourire et la lumière malicieuse de son regard… Son corps est élancé, sa beauté un peu austère, avec son visage allongé et ses pommettes hautes et rondes. Le creux des joues est balayé par des cheveux épais, courts, coupés au carré. Et un chapeau blanc, posé de côté, finit de rappeler les élégantes des photographies des Séeberger".

Qualifiant la recherche d’Hélène, elle note : "Comme il doit être difficile de devoir réapprendre toute cette grammaire de l’enfance qu’on vous a volée".

Evoquant le couple de Natalia et Pierre, elle écrit : 

"Il est debout, elle est assise. Ils sont exacts. Aucun équilibre ne naît de la dissymétrie…Pour qui ne connaîtrait pas ces deux êtres, ils sont une incarnation possible de la confiance amoureuse ou de l’équilibre conjugal. Ils ont arrêté le temps, l’ont concentré tout entier dans la jonction d’une main et d’une épaule. Ils ont accepté la promesse de l‘ensemble. Leurs beautés ne s’excluent pas, mais s’additionnent… Natalia et Pierre ont concédé à la mémoire la trace d’un instant parfait, leur instant : celui où l’on congédie la dépouille de deux entités distinctes pour accepter d’en devenir, enfin, la somme".

"Eux sur la photo" est simplement un poème d’amour, célébrant la beauté et la ferveur qui naissent de la rencontre d’un homme et d’une femme, un amour qui peut détruire comme il peut consoler et reconstruire, un amour qui est "irrévocable" et qui grave au cœur des femmes et des hommes une promesse d’éternité. 

L'avis du Délirien: ⭐⭐⭐⭐⭐

Il faut toujours se méfier des librairies et des libraires, ce sont des endroits dangereux, infestés de livres qui ne demandent qu’à vous happer.

J’ai été ainsi victime d’un "accident de librairie" à Mont de Marsan dans la fabuleuse librairie "Caractères". 

Je cherchais  le dernier livre de Hélène Gestern "555" qui n'était pas en rayon, le libraire m'a recommandé à la place la lecture de son premièr livre "Eux sur la photo" et Hop....

Un ENORME coup de coeur !!!

 A propos de l'auteure: 


Hélène Gestern est née en 1971 à Nancy, où elle vit et travaille comme enseignante-chercheuse universitaire. 

"Eux sur la photo", son premier roman, a rencontré un grand succès et a été traduit en plusieurs langues. 

Depuis, elle a publié "La part du feu" en 2013, "Portrait d’après blessure", 2014, et "L’odeur de la forêt "en août 2016, et "555"  en 2021, tous chez le même éditeur.


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